Trop souvent, l’étanchéité des assemblages à brides des tuyauteries industrielles est défaillante car l’assemblage n’est pas calculé. On se contente de rapprocher les catégories de brides aux conditions de service, qui servent de repères en matière de tenue à la pression. Or, ce n’est pas si simple et les risques d’accident en cas de fuite ou, à l’inverse, de surdimensionnement des brides ne sont pas nuls. Laetitia Haro, responsable du service Calculs de 2c2i, conseille d’appliquer une méthode appropriée pour calculer les efforts portés sur les brides. Laquelle choisir ? Analyse par pression équivalente, méthode Taylor Forge ou norme EN 1591 ? Éclairage.
L’étanchéité d’une tuyauterie est obtenue par le serrage de brides à l’aide de boulons, et la tenue en pression d’une pièce à brides est caractérisée par son PN (Pression Normalisée). « Une bride PN10, par exemple, supporte une pression de 10 bars à 20 °C, rappelle Laetitia Haro. Mais ce n’est pas le tout d’avoir cette valeur : il est essentiel de calculer l’effort produit, pour ne pas rompre les lignes. En effet, cela pourrait avoir des conséquences graves, dans l’industrie nucléaire évidemment, mais aussi dans toutes les industries pour les lignes de vapeur à haute température, les oléoducs ou les sites classés ICPE (Installation Classée Pour l’Environnement – ex-Seveso). Sans cela, les risques de sûreté, de fuite, de brûlure ou d’incendie sont trop importants. » Différentes méthodes de calcul des efforts sur les brides existent, de la plus simple à la plus complète.
L’analyse en pression équivalente
Jusque dans les années 1950, la tenue des canalisations à la pression était calculée de manière empirique. Depuis, les ingénieurs ont mis en œuvre une méthode plus rationnelle mais qui reste assez simple : l’analyse en pression équivalente. « Il s’agit d’estimer les efforts qui transitent par l’assemblage à brides avec des calculs de flexibilité, décrit Laetitia Haro. Ces efforts sont transformés en une pression équivalente que l’on ajoute à la pression réelle dans la tuyauterie. Prenons un exemple : si la pression équivalente calculée est de 3 bars et la pression réelle mesurée dans la canalisation est de 5 bars, l’assemblage supporte 8 bars d’effort. Dans ce cas, une bride PN10 est a priori suffisante. »
La méthode de Taylor Forge
La méthode de Taylor Forge conduit à un calcul plus précis et plus juste. Elle permet en effet de valider l’assemblage à brides, en déterminant les contraintes sur plusieurs points de la bride. « Il s’agit ici d’une mise en équation à partir de sous-calculs de facteurs, depuis des données d’entrée, comme l’épaisseur, la longueur ou les coefficients de pression du joint, confie Laetitia Haro. On obtient les contraintes agissant en plusieurs points de la bride et le couple de serrage de la boulonnerie. » Mais il y a une limite à cette méthode, qui n’autorise pas les efforts de serrage trop intenses sur la boulonnerie de la bride. Concrètement, la méthode ne fonctionne pas avec les lignes de gros diamètre et de faible épaisseur. Les contraintes de flexion sont alors trop fortes sur le plateau de la bride. Pire : la méthode de Taylor Forge ne donne pas de réelle indication sur l’étanchéité de la bride.
La norme EN 1591
l a fallu attendre l’année 2001 pour voir émerger la norme EN 1591 qui donne des critères d’étanchéité et de résistance de l’assemblage, notamment lorsque les efforts de pression sont importants. « Aujourd’hui encore, rares sont les bureaux d’études à maîtriser ce calcul, concède Laetitia Haro, parce que c’est une méthode complexe, itérative, qui nécessite de collecter les très nombreux paramètres de l’assemblage : pression, température, effort de traction, caractéristiques du joint (sa résistance mécanique, sa compressibilité, sa dilatation, son élasticité… à diverses températures). Néanmoins, elle est particulièrement performante parce qu’elle prend en compte des critères essentiels, comme l’écrasement du joint, par exemple. » L’EN 1591 permet non seulement de savoir quelle bride utiliser mais aussi quel niveau de serrage appliquer pour s’assurer de l’étanchéité. Par ailleurs, cette méthode est déjà intégrée dans l’EN 13445 qui régit les appareils sous pression conventionnels et risque de devenir incontournable à l’avenir, puisqu’elle va être introduite dans la future version du code de construction des équipements sous pression nucléaire RCCM. « Nous avons pris les devants, conclut Laetitia Haro. Nous maîtrisons depuis des années la norme EN 1591 et nous la proposons à nos clients. Nous avons même mis au point un outil interne à 2c2i, qui permet d’automatiser les nombreux calculs de la méthode et de faciliter sa mise en œuvre. Non seulement l’EN 1591 permet d’obtenir des données plus justes et plus précises, et ainsi d’éviter les fuites et les accidents, mais peut aussi diminuer les coûts des assemblages à brides. »
[ ENCADRÉ ] Et si la norme EN 1591 permettait (aussi) de faire des économies ?
Selon la méthode de calcul des assemblages à brides, les résultats peuvent varier fortement et entraîner des problèmes de validation des brides. Prenons l’exemple réel d’une ligne de vapeur haute pression dans une usine d’incinération de déchets. Pour valoriser l’énergie fatale en chauffage, la vapeur doit passer à travers un barillet pour alimenter une turbine. Le problème ? La température (450 °C) et la pression (78 bars) très élevées conduisent à une débauche d’efforts au niveau du barillet. Pour pouvoir justifier la tenue des brides, la méthode Taylor Forge est appliquée, et conduit à un PN (Pression normalisée) au-delà de 250. Il faut donc envisager l’utilisation d’une bride de PN 320, non seulement très coûteuse mais aussi difficile à approvisionner. Les calculs sont donc réalisés par 2c2i, à l’aide de la norme EN 1591. Résultat : la bride PN 250 est validée sans accroc, évitant ainsi un surdimensionnement onéreux et inutile de l’assemblage !